La chasse fine du lièvre
De par sa longue période de chasse ainsi que sa grande accessibilité, le lièvre est un petit gibier qui mérite l’attention des chasseurs québécois.
La chasse du lièvre est assurément l’activité cynégétique qui offre la période de chasse la plus longue, soit de l’ouverture le troisième samedi de septembre jusqu’au dernier jour du mois de mars. La poursuite de ce petit gibier rusé sur la neige est un sport des plus passionnants. Un fusil, des raquettes, quelques observations et du courage sont les seuls ingrédients requis pour relever le défi du lièvre en hiver…
S’il y a un petit gibier qui mérite plus d’attention, c’est bien du lièvre qu’il s’agit. Le lièvre est présent partout au Québec. Historiquement, le porteur de longues oreilles a toujours été estimé des Premières Nations et il a contribué à l’établissement des premiers colons européens en Amérique. Avec la gélinotte huppée, le tétras et la plupart des animaux en fait, il représentait une source de nourriture vitale. Il n’y a pas si longtemps encore, lors de l’ouverture des nouvelles régions dans les années 1920, les brochures gouvernementales invitant les familles à s’établir sur ces nouvelles terres mentionnaient que le lièvre et la perdrix y abondent, assurant ainsi un important garde-manger.
Qu’en est-il aujourd’hui ? En ce qui concerne la présence du lièvre, rien n’a changé. Bien que ses populations soient assujetties à des variations cycliques localisées, notre petit lagomorphe est bien représenté à la grandeur de la Belle Province. Selon les chercheurs, les cycles d’abondance du lièvre s’échelonnent en moyenne tous les huit ans. La rotation des cycles n’est pas la même partout. Une région du Québec peut être en bas du cycle alors que 100 km plus loin, à une autre place, c’est l’abondance. Ces pics de populations de lièvres sont parallèles à ceux des prédateurs comme le lynx.
Des recherches démontrent qu’il y a plusieurs causes à ces variantes de populations, incluant les changements dans l’environnement, comme des plans de coupes forestières, des changements météorologiques et bien d’autres. Quand un boisé supporte une trop grande population de lièvres, il y a forcément de la compétition pour la nourriture disponible et pour les bons gîtes, ce qui occasionne plus de guet et moins de repos augmentant ainsi le stress. Ajoutez des maladies et une réduction de fertilité pour que le nombre de lièvres diminue afin qu’il ne reste que quelques individus, et le cycle recommence...
Comportement hivernal
Le comportement du lièvre change en hiver. En janvier, février et en mars, par grand froid, quand la neige est épaisse, il n’est pas rare qu’il quitte la vieille forêt pour s’aventurer dans des bosquets proches des routes et des habitations. Il s’agit d’une belle occasion de relever le défi de sa chasse. Dans les boisés clairsemés, le champ de vision est meilleur pour voir le gibier. N’oubliez pas qu’en hiver, c’est une chasse visuelle dans la forêt muette.
Opportuniste, quand il fait froid, le lièvre en profite pour gîter dans les espaces libres sous les broussailles recouvertes de neige. Ainsi, il est à l’abri du vent et il profite des rayons du soleil d’hiver. J’avoue que c’est difficile de progresser là-dedans en raquettes, mais quand les pistes se dirigent dans ce secteur, il faut y aller pour en déloger l’occupant. Quand je traque seul, je prends mon temps. Ce n’est pas une course, c’est de la chasse fine, de l’observation et de la stratégie.
Les bonnes raquettes
Cela peut sembler futile, mais ne dit-on pas que le diable est dans les détails ?... Le sport de la raquette à neige a repris ses lettres de noblesse. Jadis pratiqué avec des raquettes traditionnelles faites de bois et tressées en cuir communément appelé « babiche », la confection des raquettes n’échappe pas à la technologie. Des cadres en alliages d’aluminium léger et des matières synthétiques remplacent les matériaux nobles du bois et du cuir pour offrir solidité et efficacité.
Il y a plusieurs qualités de raquettes dans les magasins et je vous suggère fortement de bien vous renseigner avant d’en d’acheter une paire. Nous avons la chance au Québec d’avoir des fabricants qui sont en tête de file dans ce domaine. Il faut délier les cordons de la bourse pour de bonnes raquettes et croyez-en ma parole, ça vaut la peine. Par exemple, il faut regarder la qualité des fixations et la technique du pivot de charnière qui doit impérativement être très solide. Ce n’est pas le temps de casser une fixation quand vous êtes à la chasse avec les copains à deux kilomètres dans un mètre de poudreuse... En plus de bien vérifier la fabrication de la raquette, il existe une charte pour utiliser la bonne raquette convenant à votre poids et à l’utilisation que vous prévoyez en faire.
Le fusil ou la carabine calibre .22 ?
Telle est la question. Je dois avouer que lors de mes deux dernières parties de chasse en solitaire, j’aurais pu utiliser une .22 parce que j’ai vu des lièvres immobiles. C’est précisément le style de chasse idéal pour la petite carabine à percussion annulaire. Muni d’un télescope ou même à mire ouverte, ce mode de chasse offre un défi quand la couverture forestière est clairsemée. Dans ces conditions, il est possible d’effectuer un beau tir propre à la tête du lagomorphe.
Personnellement, étant plutôt un chasseur du type fusil, j’opte toujours pour celui-ci étant donné que la plupart du temps, le gibier est en mouvement et ne laisse pas beaucoup de temps pour monter l’arme dans le bon axe. Pour cette chasse, je suggère un fusil à bascule pour la facilité de fréquentes vérifications des canons, afin de voir s’ils ne sont pas obstrués par la neige. Dans cet environnement hivernal où les branches sont chargées de neige et le chasseur est chaussé de raquettes, il est facile de comprendre que ce dernier est toujours en équilibre précaire sur un sol instable, propice à lui faire exécuter un plongeon involontaire.
Déroulement d’une partie de chasse
Les conditions météorologiques sont idéales ce matin pour tenter ma chance au lièvre. Je connais un boisé près de chez moi qui réserve toujours des surprises. La neige tombée hier ne laisse pas de doute sur la fréquentation des lieux. Il y a des pistes, beaucoup de pistes qui, comme un livre, racontent la vie de la forêt. Bien sûr, il ne faut pas se fier uniquement sur les pistes, parce qu’un seul lièvre marche beaucoup et que les nombreuses traces sur la neige, si celle-ci est vieille de deux ou trois jours, peuvent nous amener à croire qu’un troupeau de lièvres occupe le terrain, alors qu’en réalité, seulement un ou deux individus sont présents.
En hiver, les conditions rendent souvent la progression en raquettes difficile puisque la neige recouvre les buissons tout en laissant un espace vide en dessous. Cette condition survient en décembre jusqu’à la fin de janvier, selon les précipitations. Par la suite, les chutes de neige successives et les changements de température font en sorte que la surface se compacte et offre ainsi une meilleure portance.
Ce matin, donc, ça défonce. Je n’ai guère le choix que de chasser là-dedans puisque les pistes de léporidés y convergent toutes. Les terrains buissonneux en friche offrent beaucoup de gîtes aux lièvres qui apprécient l’abri de fortune de ces trouées. Soudain, en mettant le pied sur un amas de buissons recouvert de neige, un lièvre s’éjecte comme une balle. Il arrête net à une quinzaine de pieds, puis il me regarde de côté. Il est bien trop près pour tirer, je bouge un peu et hop, il file à grand train et disparaît dans l’entrelacement de branchages.
J’esquisse un rictus en me disant que ce n’est pas grave et que j’aurai bien ma revanche. Je ne vais pas courir après lui, je vais plutôt continuer à parcourir la ligne pour explorer le terrain. Il y a encore beaucoup de traces et des rongés. C’est sur le chemin du retour, en longeant une vieille clôture de perches de cèdre, que je lève un autre lièvre qui tente de prendre la fuite. Ses longues oreilles rabattues sur son dos, il file droit vers les gaulis enneigés. Le fusil monte et pan ! Le léporidé voit sa course stoppée par une spectaculaire culbute cul par-dessus tête dans la poudreuse. Voilà, mon petit gibier est récolté et il y a une heure seulement que je chasse...
Pour illustrer le plaisir de cette chasse, je vous invite à la faire en solitaire, ou presque...
Quand je traque seul, je prends mon temps. Ce n’est pas une course, c’est de la chasse fine, de l’observation et de la stratégie.
Un lièvre avec « Peter »
Mes compagnons de chasse n’étant pas disponibles ce matin, j’irai donc à la chasse avec « Peter*». Le temps est splendide pour courir les lièvres aujourd’hui, d’autant plus que la neige de la nuit dernière fait apparaître les pistes récentes du gibier. Je n’ai pas fait 20 pas dans ce couvert que je mets une gélinotte à l’envol, en même temps qu’un lièvre s’enfuit furtivement au loin. Tranquillement, je vais poursuivre ce lièvre. Ses traces sont faciles à lire sur la neige neuve.
Je connais la ligne de fuite qu’empruntent les longues oreilles ici, c’est une frange d’aubépines qui longe la prairie. J’aurais aimé que « Peter » aille se poster à l’autre bout, mais il ne me lâche pas d’une semelle, il me suit comme mon ombre... Je peux voir le fuyard très loin devant. Comme il est toujours loin et que je le pousse encore plus, je change de stratégie. Je vais effectuer une grande boucle, de manière à le contourner.
J’effectue donc un grand crochet d’environ 200 mètres pour revenir vers le gibier en fuite. Il n’y a pas de piste : c’est bon signe. Finalement, j’atteins un fourré plus dense où je pense qu’il se cache. Il s’agit d’un amas buissonneux de cornouiller sanguin et de saule entremêlés. Je progresse lentement, le soleil dans le dos pour bien voir... Soudain, à une trentaine de pieds, comme un polichinelle qui émerge de sa boîte, le lièvre bondit hors de sa cachette. Le fusil monte à l’épaule et pan ! J’ai le temps de prendre quelques photos avec ce ciel bleu immense.
Voilà, amis chasseurs, la messe est dite à propos de cette chasse des plus passionnantes et combien facile qui étire la saison jusqu’aux beaux jours du mois de mars.
*« Peter », compagnon imaginaire faisant référence à une ancienne série de fiction télévisée intitulée « L’homme invisible » mettant en vedette le Dr Peter Brady, un scientifique cherchant à atteindre l’invisibilité personnelle.