En Quête d'un dominant
Richard Nadeau
Récolter un ours trophée repose rarement sur le hasard, alors voici de judicieux conseils pour y parvenir.
LA CHASSE DE L’OURS NOIR
La chasse de l’ours noir a passablement évolué au Québec depuis les dernières années, et il est évident que l’intérêt que les chasseurs lui portent s’est modifié.
Auparavant, cet animal n’avait pas une très bonne cote, et sa mauvaise réputation le précédait. Nous le considérions comme un animal nuisible, voire un charognard, à cause de sa forte attirance pour les odeurs nauséabondes.
Tous les dépotoirs situés en zones rurales devenaient pour lui des sites d’alimentation. Plusieurs se souviennent également de ces fameux dépotoirs forestiers, qui apparaissaient automatiquement dans chacun des territoires gérés à l’époque par les pourvoyeurs et se multipliaient dans toutes les régions de notre belle province.
Heureusement, aujourd’hui, cette situation est révolue. La gestion des matières résiduelles a en bonne partie réglé le problème, et tous ces petits dépotoirs n’existent plus.
Les méthodes de chasse aussi ont évolué. Je me souviens de ces années où, en compagnie de deux à quatre copains — et parfois plus —, j’allais chez un pourvoyeur.
Nous pêchions ensemble toute la journée, et après le souper, nous nous rendions en véhicule jusqu’au dépotoir situé non loin, pour attendre patiemment qu’un ours se pointe le bout du nez.
On repassera pour les émotions…
Également, les gens qui ressentaient du mépris à l’idée de consommer sa venaison ont appris à l’apprécier à sa juste valeur.
Il est aujourd’hui possible d’accéder plus facilement à des forfaits printaniers très intéressants, et plusieurs chasseurs peuvent s’offrir un combiné chasse à l’ours et pêche.
LA RECHERCHE D’UN TROPHÉE
Pour ce qui est de l’évaluation des trophées, nos trois grands cervidés que sont l’orignal, le caribou et le cerf jouissent d’un système de pointage officiel spécifique.
Pour sa part, l’ours noir n’est classé formellement que par le biais des dimensions de son crâne, où la longueur additionnée à la largeur établit le score final.
À mon avis, ce classement simpliste pourrait être amélioré en y ajoutant d’autres mesures, à commencer par le poids de l’animal éviscéré, la longueur totale du bout du nez au bas du dos, et pourquoi pas la dimension des coussinets des pattes avant et arrière, ou encore la longueur des griffes.
Selon les commentaires entendus et véhiculés dans les milieux de la chasse, les dénominateurs communs qui reviennent constamment lors des conversations entre chasseurs d’ours noirs sont sans contredit la taille et le poids.
Localiser un ours dont la stature est plus imposante que la moyenne ne se réalise pas aisément. Bien sûr, un bon jour, la chance pourrait vous sourire sans que vous n’ayez à faire quoi que ce soit de spécial, mais la réalité de la chasse est habituellement tout autre.
La plupart du temps, il faut de la détermination et de la perspicacité pour obtenir un résultat plus satisfaisant.
Les principales étapes pour vous aider dans cette quête débutent par une connaissance approfondie du territoire d’opération.
Il faudra également apprendre à évaluer la dimension des empreintes, vérifier la hauteur des griffures sur l’écorce des arbres avoisinant le site ciblé, comparer la quantité et la grosseur des excréments, qui sont souvent représentatifs de la taille de l’animal.
DÉCOUVERTE SUBTILE
En VTT, je revenais d’une pêche à la truite par une belle fin de soirée du mois de mai. Je m’étais attardé sur le lac pour essayer de capturer cette dernière truite qui aurait complété mon quota, mais le sort en avait décidé autrement.
Par contre, ce retard ne pouvait pas mieux tomber, car à la sortie d’un virage, j’ai aperçu une masse noire traverser le chemin à une soixantaine de mètres devant moi.
Distinguant parfaitement la silhouette d’un ours, j’ai ralenti puis je me suis arrêté en retrait. Mais comme il ne faisait plus très clair, j’ai choisi un gros hêtre qui allait me servir de repère plus tard.
Le lendemain, je suis retourné sur les lieux pour investiguer d’un peu plus près. Je n’ai pas tardé à repérer d’énormes empreintes et, en remarquant leur orientation, j’ai distingué une sorte de corridor qui se dessinait dans la végétation de la forêt.
J’ai suivi ce sentier sur une certaine distance avant de constater qu’il s’agissait en fait d’un ancien chemin de débardage forestier. J’ai abouti dans une clairière qui servait sans doute d’aire de stockage pour l’empilement des troncs.
Avec les années, cet emplacement s’était transformé en remarquable site de chasse, sa superficie procurant une vision exceptionnelle.
Une multitude d’options se présentaient à moi quant à l’aménagement de ce site, selon le défi que j’envisageais de relever.
Allais-je chasser avec un arc ou une carabine, une arme à chargement par la bouche ou une arbalète ? Ce site se prêtait à toutes ces avenues.
UN SITE JUDICIEUSEMENT CHOISI
L’endroit où l’affût et les appâts seront disposés découle d’un choix judicieux qui n’appartient qu’au chasseur. Lors de l’inspection de votre territoire, vous devrez en découvrir toute la dynamique.
Faites preuve de persévérance en améliorant votre compréhension du terrain, car cette aptitude s’acquiert avec les années. Plusieurs indices et signes pourront vous indiquer la présence ou l’absence de l’animal recherché, pourvu que vous sachiez comment les interpréter.
Les indices peuvent varier d’un site à l’autre, étant intimement reliés à l’environnement ambiant. Ces connaissances vous seront indispensables tout au long de vos années actives de chasse.
Voici quelques données à considérer :
la position des points cardinaux,
la direction des vents par rapport aux courbes de dénivellation,
les itinéraires que les ours emprunteront pour se rendre aux appâts,
et la présence ou non d’éléments naturels comme un ruisseau, un marais, un escarpement rocheux, etc.
Croyez moi, pour berner un tel animal, vous devrez redoubler de ruse et de perspicacité, et votre affût et vos appâts ne devront surtout pas être placés au hasard.
Sachez que l’aménagement de votre site représentera à lui seul 80 % de vos probabilités de réussite. Dites-vous bien également qu’un ours doté d’un gabarit hors du commun est souvent très âgé. Il a donc évité beaucoup d’embûches au cours de sa vie et contourné plusieurs dangers potentiels pour survivre jusque-là.
Finalement, pour parvenir jusqu’à cette stature, l’ultime épreuve à relever est sans aucun doute de ne pas se retrouver dans le collimateur d’un chasseur.
RECHERCHER LES ZONES TAMPONS
Avec les années, les ours qui évoluent dans l’environnement des régions éloignées finissent par perdre une bonne partie de leur instinct primaire, qui les portait à exercer une vigilance constante sur les sources de danger, et surtout l’homme. Mais dans ces populations, les ours peuvent atteindre un âge plus avancé et donc une taille supérieure, sans compter l’existence d’une hiérarchie où les mâles dominants règnent en maîtres.
Hormis la possibilité d’un ours aux traits génétiques exceptionnels, l’aspect inaccessible d’un territoire de chasse est le principal élément susceptible de favoriser l’existence d’ours de format géant.
Dans la plupart des territoires exploités, la pression de chasse est énorme, et les possibilités qu’un ours atteigne cette maturité relèvent d’un heureux hasard.
Dans les terres situées loin des axes routiers, l’éloignement et le caractère inhospitalier des lieux découragent la présence humaine et, par ricochet, favorisent les ours de grande taille
Cependant, à moins de vous faire héliporter sur l’un de ces territoires éloignés, le seul moyen de vous y rendre serait d’emprunter ces voies utilisées autrefois et encore disponibles : soit les cours d’eau.
Par contre, ce choix nécessiterait toute une logistique… et serait certainement tout un périple !
D’un autre côté, sauf exception, la majorité des ours prélevés sur les sites de chasse les plus achalandés ne correspondent pas à la définition d’un trophée.
Généralement, dès qu’un ours s’approche de tels sites d’appâtage intensif, il est abattu illico. La récolte d’un spécimen trophée y est donc peu probable.
Il existe toutefois des zones tampons qui me semblent représenter un bon compromis pour trouver ce que l’on recherche.
Leur accès doit être le plus restreint possible, se limitant parfois à un étroit sentier ou à une piste, et seuls certains véhicules tout-terrain sont en mesure d’y parvenir.
Plus les contraintes et les difficultés d’accès abondent, moins l’endroit est fréquenté par les humains, et plus les probabilités de retrouver le genre de « gaillard » recherché augmentent.
Par contre, peu d’individus d’une population parviendront à ce stade de grande maturité et de dominance.
PRÉPARATION DU SITE
J’ai aménagé mon nouveau site en tenant compte de tous ces éléments, et il ne me restait plus qu’à patienter en espérant que le temps fasse le reste.
À leur sortie d'hibernation, ces gros mâles peuvent parfois parcourir jusqu’à 80 km pour regagner leur habitat.
Quatre jours plus tard, la grosse pierre qui obstruait l’ouverture du baril d’appâts avait été déplacée. Comme j’avais aussi installé un appareil de détection, dès mon retour au camp, les photos enregistrées sur la carte mémoire me confirmèrent que « mon balourd » occupait bien le territoire.
Selon les observations recueillies sur le terrain, pour se rendre aux appâts, les ours empruntaient deux sentiers distincts.
J’ai donc installé deux autres appareils pour les observer, mais après quelques jours, le gros ours n’était pas réapparu sur les photos.
J’ai dû repositionner les appareils à deux reprises avant d’arriver à déterminer d’où il venait : ce gros fut déambulait tous azimuts pour se rendre jusqu’au baril d’appâts.
Lors que le terrain ne comporte pas d’obstacle naturel contraignant, l’ours peut se rendre aux appâts comme bon lui semble.
Si le chasseur est incapable de déterminer à quel endroit l’ours fera son entrée sur le site de chasse, mieux vaut avoir un plan B.
Avec ce comportement inhabituel, j’ai dû modifier mes plans et localiser mon affût portatif dans un autre secteur du périmètre où je pouvais m'y rendre sans que mon gibier ne me détecte ma présence grâce à son odorat super développé.
Cependant, aucun arbre situé plus près n’était assez solide pour supporter mon poids et celui de l’affût, si bien que ce nouveau poste m’éloignait beaucoup des appâts.
À cause de la distance trop importante pour la portée efficace d’un arc ou d’une arbalète,Ma seule option valable devenait de chasser au moyen d’une arme à feu. À la suite de tout cela, la saison avait avancé et la température se réchauffait graduellement de jour en jour.
J’appréhendais surtout que mon ours se ca rente en mue printanière, ce qui ruinerait la qualité de sa fourrure. C’était une course contre la montre !
MOMENT FATIDIQUE
Dès le premier soir de chasse, un beau spécimen de plus de 100 kg s’est présenté, mais il ne portait pas ces cicatrices près de l’œil qui caractérisent si bien les dominants. Il est demeuré sur place pendant environ 10 minutes, me laissant le temps de prendre quelques photos. Puis, soudain, il a tourné la tête vers la droite. Après quelques secondes, il a quitté les lieux précipitamment.
Il était aux environs de 20 h lorsqu’il est apparu, et avec le téléobjectif de mon appareil photo, j’ai pu reconnaître aussitôt les traits caractéristiques de sa tête. Puis, j’ai porté une attention particulière à son pelage, surtout au niveau du flanc, car c’est à cet endroit que se manifestent les premiers signes de la mue, avec des touffes de poils qui se détachent du pelage. Heureusement, sa fourrure semblait parfaite, et sans attendre, j’ai saisi ma carabine.
Quand il s’est tourné en position perpendiculaire, le réticule de ma lunette de visée s’est immobilisé vis-à-vis de ses poumons et le coup de feu a retenti. Bien situé, j’ai pu l’observer fuir pendant un bon moment avant qu’il ne disparaisse dans la végétation dense du sous-bois.
Après une attente de 20 minutes, j’ai entrepris sa quête, qui s’est d’ailleurs avérée très courte, puisque mon gibier gisait inerte une trentaine de mètres plus loin. C’est seulement rendu près de lui que j’ai réalisé toute l’ampleur de sa taille, et à ce moment, je crois avoir vécu la plus extrême satisfaction qu’un chasseur d’ours puisse atteindre.
À la pesée, cet animal est devenu mon troisième ours, pesant plus de 140 kg (300 lb), et aussi le plus lourd des trois, à 148 kg (326 lb). Considérant que cet ours a été récolté au printemps, il aurait probablement atteint un poids de 200 kg (440 lb) l’automne suivant.
En m’affairant aux tâches d’écorchement et de préparation de la peau de l’animal, la partie probablement la moins intéressante de la chasse, toutes les exclamations, félicitations et commentaires que m’ont adressés les gens en voyant ce mastodonte m’ont vite fait oublier tout le reste.
Cet heureux dénouement m’a également conforté dans ma conviction que le temps et le soin que l’on apporte à la préparation de sa chasse constituent les éléments les plus importants pour atteindre le succès.