Ma prise de conscience s’est faite au moment où je faisais l’analyse post-mortem d’un séjour de chasse à l’orignal. J’avais tout fait mes devoirs de guide pour mener cette chasse à terme, mais celle-ci avait duré à peine plus de quatre heures. J’ai alors compris pourquoi « l’avant » avait été plus excitant que « le pendant » lui-même.
J’ai réalisé que le désir de comprendre et de valider mes hypothèses était plus fort et intense que le moment fatidique où le gibier se retrouverait au sol. Certes, au moment de la récolte mes interprétations et hypothèses peuvent être considérées comme valides, mais de nombreux questionnements me reviennent toujours. « Est-ce un coup de chance ? Est-ce comme ça partout ? Suis-je en mesure de récréer ce résultat avec régularité ? »…
J’ai remarqué que bon nombre de chasseurs et guides connaissent du succès dans leur routine habituelle, mais que les résultats ne sont plus au rendez-vous s’ils sortent de leur zone de confort. Moi qui n’ai aucun territoire de chasse à l’orignal attitré, je dois absolument me pousser à toujours mieux comprendre la bête en fonction des différents contextes dans lesquels elle évolue.
J’ai aussi remarqué que le désir de prospection est fort tant que le permis valide demeure en poche. Tant qu’il reste des jours avant le séjour en question, l’envie de me retrouver sur place pour valider certaines hypothèses est intense en moi. Je fouille énormément les cartes et images satellites et l’envie de retourner sur place m’envahit aussitôt que je perçois une mince information qui m’avait échappé auparavant. Cependant, ce désir et cette anticipation ne sont plus présents en moi une fois que la bête est récoltée. Je sais de façon réfléchie que le fait d’y retourner après serait aussi très pertinent, mais je ne ressens pas ce désir. C’est un peu comme si je perdais alors de vue l’objectif premier d’une chasse, soit la quête d’un gibier. Un loup n’ayant pas faim ne chasse pas agressivement.
Lorsque je prospecte sur le terrain, je ne ressens aucune pression de temps ou de limite de temps. Je peux prospecter en camping sauvage pendant deux jours consécutifs, comme je peux effectuer neuf visites quotidiennes isolées les unes des autres. Dans d’autres cas, sur d’immenses territoires, je peux passer deux séjours de trois jours complets en camping sauvage. Dans toutes ces conditions, ce que j’apprécie pleinement est de ne pas sentir de pression de limite de temps, en comparaison avec le séjour de chasse lui-même.
Les statistiques peuvent souvent influencer la perception d’un guide ou d’un chasseur sur l’évaluation du potentiel d’un secteur. J’ai souvent été excité d’aller sur un secteur reconnu comme productif, et une fois sur place, mon excitation a parfois fait place à une réalité plus banale. Sur un tel secteur, j’ai souvent affaire à des chasseurs qui s’imposent des critères de récolte nettement plus difficiles à atteindre que ce que les statistiques laissent présager. C’est là un sentiment qui est aussi partagé par les guides professionnels.
En tout temps, je me permets d’effectuer un minimum de deux visites sur le terrain avant la chasse afin de voir le plus possible d’endroits potentiels. À ma première visite, je valide les endroits ciblés par ma prospection primaire effectuée à l’ordinateur (une étape d’analyse qui me passionne). Souvent, je remarque alors des aspects qui n’étaient pas perceptibles dans cette prospection primaire à domicile, et à mon retour à la maison, je m’installe de nouveau à l’ordinateur pour essayer de comprendre pourquoi je ne les avais pas remarqués. Ma deuxième visite me servira alors à valider et à mieux comprendre ces aspects, soit des infimes détails qui m’avaient à prime abord échappé.
En prospection, je suis la plupart du temps seul sur le terrain. Je peux donc marcher à mon rythme et me reposer lorsque j’en ressens le besoin. Je n’ai aucun compte à rendre ni aucune limite de résultats. Et si je ressens l’envie d’étendre mes déplacements de prospection afin de valider le déplacement des bêtes, rien ne m’empêche de le faire. Je marche constamment avec en tête que j’ai du temps devant moi. Je pourrais élaborer longuement sur les avantages et le pourquoi de ma passion pour cette prospection sur le terrain, mais il me faudrait pratiquement occuper tout l’espace de ce magazine…