Comme bien d’autres chasseurs, l’auteur a été confronté à des ours qui ne fréquentaient ses sites de chasse que de nuit, et il explique ici différentes façons de détourner cette situation à son avantage.
J’en étais à ma huitième séance d’affût pour déjouer un ours méfiant. Pourtant, ce n’était même pas un si gros ours, probablement un spécimen de moins de 175 lb. J’avais finalement remarqué que cet ours ne venait au site d’appâtage que lorsque je n’y étais pas…
Le premier soir de chasse, je l’ai vu arriver au travers de la végétation dense, mais je n’ai pas pris de tir car j’attendais que l’animal se dégage complètement pour filmer une séance de chasse à l’ours. Au moment où l’ours vint pour se dégager, il s’immobilisa et me regarda directement dans les yeux. J’étais installé sur un mirador portable à 25 mètres de mon appât, celui-ci étant accroché à une grosse pruche à 7,5 m (25 pi) du sol. Mais en l’absence de branches autour de moi, l’ours m’avait détecté.
L’animal repartit à pas feutrés pour n’y revenir qu’à 23 heures le même soir, selon la lecture subséquente de ma caméra de détection. Lors de cette saison de chasse, j’ai dû m’acharner sur ce seul ours, car sur mes quatre différents sites de chasse, tous espacés de plus de 10 km l’un de l’autre, un seul était visité. Je n’y comprenais rien, mais au moins j’avais un ours à chasser. C’est durant ces longues et difficiles saisons que nous apprenons le plus…
À chacune de ses visites au site, mon méfiant adversaire prenait le temps de vérifier et de valider ma présence pour ne pas s’exposer par la suite à chacune de mes séances d’affût. Chaque fois que je chassais, l’animal ne revenait que de nuit. Pourtant, lorsque je prenais congé et lui laissais une soirée sans ma présence, ma caméra de détection me confirmait qu’il y était venu entre 19 et 21 h, en plein dans les heures légales de chasse.
Bien des chasseurs sont chaque année confrontés à des ours qui ne fréquentent leurs sites de chasse que de nuit. Plusieurs aspects peuvent expliquer pourquoi certains sujets ne viennent aux appâts que sous le couvert de la nuit et j’en soulève quelques-uns dans les lignes qui suivent. En nature, nous y allons d’hypothèses qui, parfois, se confirment sans aucun doute, mais nous devons toujours demeurer prudents dans l’affirmation de théories quelconques. En outre, il ne faut surtout pas oublier que certains comportements sont inexplicables…
Les causes probables
A- Le poste d’affût trop visible
Je dirais qu’à 80 % des occasions où un ours se présente devant un chasseur caché près d’un site d’appâtage, il sait qu’un être humain est sur place. Selon moi, 80 % des ours peuvent tolérer l’odeur humaine, mais je crois cependant que de 40 à 60 % des ours ne tolèrent pas de voir l’être humain directement sur place. C’est un élément de stress qui pousse certains ours à ne venir aux appâts qu’après s’être assurés que le chasseur n’y est pas, donc souvent à la faveur de la nuit. Dans mon optique, il est donc impératif de bien se dissimuler dans l’environnement pour éviter de susciter la méfiance de ces individus.
B- Les vieux ours sont souvent les plus méfiants
Les vieux sujets sont plus portés à utiliser leur nez avant de s’avancer vers un site d’appât. Il faut donc absolument éviter que votre odeur soit dirigée dans la direction d’où les ours méfiants arrivent. En conséquence, je recommande de ne pas positionner l’affût avant d’être en mesure de déterminer d’où ces ours méfiants vont arriver.
Évidemment, chaque ours peut arriver par un accès différent. Supposons que l’ours que vous voulez récolter arrive par un sentier et que l’endroit où vous avez positionné votre mirador favorise régulièrement la dispersion de vos effluves vers ce sentier, vos chances de succès avec cet ours sont minces. Je conseille plutôt d’attendre que le site soit bien fréquenté par les ours pour pouvoir analyser les différentes voies d’accès naturelles au site et déterminer à l’aide des signes par où l’ours que vous ciblez est le plus susceptible d’arriver. Il s’agira ensuite d’installer votre affût en fonction des différents vents présents. N’oubliez pas d’être discipliné, et lors d’une séance prévue d’affût, si vous vous rendez compte que le vent souffle directement dans la direction du sentier d’accès, n’y chassez pas. Les ours méfiants ne vous donneront pas de nombreuses chances !
C- Il y a des ours plus peureux que d’autres
Certains ours peuvent ne pas se présenter à un site qu’ils visitent très régulièrement simplement parce qu’ils ont croisé l’odeur de vos pas foulés lors de leur progression vers le site. Ces ours sont très sensibles à tout changement dans l’environnement autour du site d’appâtage. Si vous accédez normalement par un sentier précis pour aller ravitailler le site, les ours s’attendent à sentir votre odeur de pas foulés sur ce sentier. Je vous recommande de toujours emprunter le même accès pour vous rendre sur place.
L’emplacement stratégique de votre site influencera beaucoup la régularité diurne des ours.
Les facteurs d’influence négative
Le rut peut grandement influencer les heures de visite d’un ours. Si un mâle reproducteur part en journée pour aller à la recherche d’une compagne, il se peut fort bien qu’il ne revienne que la nuit. Il faut savoir que l’ours noir est un animal plutôt diurne, mais que pendant le rut les mâles parcourent d’innombrables kilomètres le jour. Ce n’est pas obligatoirement la faute d’un chasseur si un ou des ours ne visitent un site que de nuit. Il faut simplement accepter qu’il y ait des impondérables sur lesquels nous n’avons aucun contrôle.
Il faut aussi savoir que le rut débute vers le 8 juin pour se terminer vers la mi-juillet. Si votre période de chasse n’est que de trois ou quatre jours à l’intérieur de la période du rut, vous risquez d’être vulnérable au déplacement irrégulier de l’ours. En bref, durant le rut, il n’y a parfois tout simplement pas de solutions pour déjouer un ours précis qui ne visite votre site que de nuit.
Le manque de compétition est un autre élément qui influence la régularité des visites diurnes. Un ours qui sait être le seul à visiter un site peut très bien ne visiter celui-ci qu’au moment où il s’y sent en parfaite sécurité. Au contraire, selon son caractère, un ours peut craindre la compétition sur place. Un individu de petit gabarit craint souvent les ours matures et sera plus enclin à visiter le site le jour, ou seulement durant les heures où il sait qu’il y sera seul.
Si vous n’avez qu’un seul ours qui visite votre site et s’il n’y vient que de nuit, je vous recommande d’attendre que d’autres ours y viennent avant de le chasser. Avec la compétition, tout devient plus facile sur un site d’appât. J’ai remarqué que lorsqu’un minimum de trois ours fréquentent un site précis, la régularité de fréquentation en soirée pendant les heures légales de chasse augmente significativement.
Un autre des aspects influençant beaucoup la régularité diurne des ours à un site est l’emplacement stratégique de ce dernier. L’ours aime les forêts matures où il y a une bonne variété de plantes à manger et différents types de couverts pour s’y reposer. Si votre site est en environnement trop dégagé, les ours n’aimeront pas s’y rendre durant le jour. J’ai même remarqué qu’il est préférable de les chasser profondément à l’intérieur des couverts matures plutôt qu’en bordure des ouvertures telles que les bûchés. Les forêts matures mixtes ou de feuillus sont mes favorites. Si vous êtes trop loin des couverts que les ours affectionnent le jour, ils n’y viendront que de nuit et il vous sera pratiquement impossible de les voir de jour à votre site.
Facteurs d’influence positive
L’approvisionnement régulier en appâts représente un élément très important pour que les ours demeurent autour du site. Pour certains individus, le fait de limiter la quantité de nourriture les motivera à venir plus tôt en journée. Limiter la quantité fera en sorte qu’un ou des ours arrivant tard en soirée ou en fin de nuit pourront sentir que des congénères sont passés avant eux et ont tout mangé le buffet. Ce facteur pourrait pousser certains ours à changer d’horaire de visite afin d’y venir avant leurs compétiteurs, mais d’autres préféreront arrêter d’y venir. Il n’y a pas de façon de faire qui réussit avec tous les ours nocturnes. Le fait qu’ils ont des caractères et des vécus différents explique pourquoi ils ne réagissent pas tous de la même façon. C’est en changeant certaines façons d’appâter que vous trouverez parfois la solution pour un certain ours nocturne.
La nouveauté excite beaucoup les ours et ils sont friands de gourmandises sucrées. J’ai réussi à quelques reprises à stimuler des ours nocturnes réguliers à se présenter plus tôt en leur offrant de nouvelles saveurs très odoriférantes. Les ours sont souvent couchés à moins de 300 mètres sous le vent du site que vous entretenez. Si vous leur envoyez une nouvelle stimulation olfactive forte en certaines occasions, ils ne pourront pas résister à y venir plus tôt. J’aime aussi varier les saveurs et les odeurs. De cette façon, les ours ne savent pas à quel moment il y en aura de nouvelles et deviennent plus sensibles à cette microtechnique.
Faites travailler les ours pour accéder à la nourriture et rendez-leur la tâche difficile. Plus elle sera difficile sans être impossible et plus les bêtes auront besoin de temps sur place pour se nourrir à leur goût. Les ours voudront arriver plus tôt pour avoir le temps de trouver les gâteries avant les autres congénères compétiteurs. Plus longtemps vous réussirez à les faire demeurer sur place pour se gaver et meilleures seront vos chances qu’ils y viennent de jour. J’utilise aujourd’hui des barils de métal troués que les ours doivent faire tourner ou brasser pour en faire sortir des miettes de gâteries.
Enfin, je l’ai eu !
Pour en revenir à mon ours méfiant du début de cet article, le 11 juin j’ai pris les grands moyens. Je savais qu’à son arrivée dans l’environnement de mon site, mon ours observait mon mirador pour voir si j’étais présent. Je suis arrivé plus tôt qu’à l’habitude et j’ai installé un nouveau mirador portable dans une pruche énorme qui était directement au-dessus de mon baril. Je me suis alors installé à 35 pieds du sol parmi de nombreuses branches. Il était presque impossible que mon ours puisse m’apercevoir, car l’angle de vision était vraiment trop aigu pour la vision d’un ursidé en approche.
À 20 h 15, j’ai vu mon ours arriver. J’aurais déjà pu à ce moment lui placer le projectile de ma carabine en zone vitale, mais j’ai préféré attendre et savourer le moment. Quand il a fait les derniers pas, j’ai été fasciné de le voir sortir d’un fourré dense pour tourner la tête et observer l’autre mirador qui était vide. Ce n’est qu’alors que je me suis dit en moi-même : « Je t’ai eu ! BOOM ! »
Sur ce, j’espère que ces quelques considérations seront de nature à vous aider à mettre les chances de votre côté lors de votre prochaine confrontation avec sieur Martin.