Patrick Bayard
de Virginie, le grattage peut être faussement reproduit à bon escient par le chasseur qui désire déjouer la méfiance légendaire de l’animal.
Chaque année, quand arrive l’automne, je deviens fébrile et j’attends avec impatience le matin de l’ouverture de la chasse au chevreuil comme un enfant qui attend le soir de Noël. Novembre est la période que je préfère, car ce mois coïncide avec la période de rut, la période de prédilection pour espérer déjouer un beau mâle mature. Parmi les différentes stratégies que j’utilise, la préparation de faux grattages représente ma préférée. Que ce soit dans un but de provocation de chasse ou pour effectuer un recensement des mâles d’un secteur, cette technique est sans doute celle qui permet au chasseur que je suis de créer de l’action et de se rapprocher dusuccès. J’utilise la création de faux grattages depuis plusieurs années et je ne me verrais pas chasser sans avoir recours à cette stratégie
Pour arriver à imiter efficacement les grattages naturels de mâles, savoir les identifier et les comprendre représente un incontournable. Premièrement, un grattage est composé de deux éléments importants : le grattage du sol dénudé sur une surface de plus ou moins 2 pi sur 2 pi, et le plus important, la fameuse branche qui surplombe le grattage à environ 4 ou 5 pi du sol. En fait, s’il n’y a pas de branche au-dessus d’un grattage naturel, je n’y accorde guère d’attention. Ilva de soi que plus il y a de mâles sur votre territoire, plus vous risquez de trouver des grattages créés par la compétition entre les individus, mais si peu de mâles s’y trouvent, les grattages seront au contraire plutôt rares.
Les cerfs communiquent entre eux de plusieurs façons, par contact visuel, par différentes vocalises et évidemment de façon olfactive par dépôts d’odeur. Le sens de l’odorat chez le chevreuil est comparable à celui d’un canidé, donc extrêmement développé, et les chevreuils se reconnaissent grâce à l’odeur qu’ils émettent, qu’ils laissent au sol, ou en ce qui concerne nos fameux grattages, l’odeur laissée sur les branche sen surplomb de ceux-ci.
Le chevreuil possède plusieurs glandes qui émettent des odeurs permettant aux individus de communiquer entre eux par les dépôts d’odeur, et en ce qui concerne les grattages, différentes glandes sont sollicitées pour cet usage. Grâce à l’utilisation de mes caméras de détection en mode vidéo installées sur mes faux grattages, j’ai pu constater que les mâles ont tous le même rituel sur un grattage. Ils arrivent le nez au sol, sentent le grattage, lèvent la tête et secouent la branche surplombante à l’aide de leur tête en la frottant sur leur glande pré-orbitale située dans le coin de l’œil(premier dépôt d’odeur). Très souvent, ils mâchouillent ou lèchent la branche (deuxième dépôt d’odeur), puis ils grattent à nouveau le sol avec leurs pattes antérieures (troisième dépôt d’odeur), transférant ainsi l’odeur de leurs glandes interdigitales situées entre les sabots.
Finalement, ils urinent en frottant l’une contre l’autre les glandes tarsiennes de leurs pattes postérieures (quatrième dépôt d’odeur). L’urine coule le long des pattes, imprègne les glandes d’odeur et se retrouve finalement au sol. Plus la saison du rut avance, plus ces glandes sont odoriférantes et beaucoup d’odeurs peuvent être ainsi déposées sur un grattage. Les femelles et faons visitent également les grattages et y laissent eux aussi des odeurs. Il existe même des grattages qu’on appelle communautaires ou primaires qui atteindront de grandes superficies et se retrouveront souvent au même endroit année après année. Au final, les grattages sont ni plus ni moins les endroits où les chevreuils peuvent laisser différents messages, de leurs humeurs, de leurs intentions, etc.
C’est évidemment à la période de rut en novembre que l’on peut retrouver le plus de grattages sur un territoire donné, car à cette période d’approche de l’accouplement, mâles et femelles auront des changements de comportement. Les mâles n’auront alors comme seule idée de se reproduire, ce qui implique les différentes actions qu’ils effectueront tout au long de cette période, soit effectuer des frottages et des grattages, ainsi que confronter d’autres mâles afin d’établir leur dominance. En ce qui concerne les femelles, quand le phénomène hormonal d’œstrus fait son apparition, elles dégagent une odeur qui rend les mâles tout simplement fous. Donc, il n’en tient qu’à nous de profiter de cette faiblesse des mâles ; la nature est ainsi faite!
Ce qui nous amène à l’utilisation des faux grattages dans notre stratégie de chasse. Si les chevreuils utilisent les grattages pour communiquer, pourquoi ne pas en imiter quelques-uns pour brouiller les cartes ?... À cette période de rut qui coïncide avec la période de chasse à l’arme à feu, les grattages qu’ils ont effectués seront visités par les différents mâles du secteur et par pratiquement tous les autres mâles visiteurs. De cette façon, les mâles résidents pourront connaître leurs adversaires potentiels. Quand je fais des faux grattages, je viens dire à ces mâles résidents : « Je suis un nouveau dans le secteur et prenez garde je viens voir vos femelles !» Il est pratiquement certain que les mâles du secteur, surtout les plus matures et évidemment le dominant du secteur, seront intrigués, voire provoqués par ce nouvel intrus.
Où,
Quand, comment? Où?
Avant d’effectuer des faux grattages, il faut bien connaître son territoire et surtout les endroits qui risquent d’être fréquentés par les mâles. À la suite de bonnes prospections, mes propres sites d’affût sont installés aux endroits stratégiques du territoire. À chaque site d’affût, j’ai dégagé quelques lignes de tir et dans chacune de ces lignes, j’ai des faux grattages à une bonne distance de mon affût, jamais trop près. Il est cependant très important de toujours effectuer les faux grattages à vue de vos postes d’affût, car rien ne servirait de provoquer des mâles si vous ne pouvez les voir quand ils y seront.
Si vous chassez directement sur vos appâts, ce que je déconseille, les faux grattages effectués près de ceux-ci ne seront pas très payants. En effet, les mâles risquent fortement de visiter votre site de jour avant la chasse, mais une fois que vous aurez passé plusieurs heures d’affût sur vos appâts, les mâles éviteront très probablement ce secteur durant les heures légales de chasse. À mes sites d’appâtage, je trouve fréquemment des grattages naturels, mais je n’y chasse jamais.
Quand?
Plusieurs chasseurs ont leur idée à ce sujet, certains effectuent leurs faux grattages durant l’été, d’autres à la fin de l’été, et d’autres encore une semaine avant la chasse. Depuis plusieurs années j’ai mon petit rituel, qui je dois avouer fonctionne très bien: j’ouvre mes faux grattages au maximum trois ou quatre semaines avant la chasse de novembre. Mon but est de provoquer les mâles avant et pendant ma chasse, donc je ne vois pas l’intérêt de recourir plus tôt à cette stratégie, mais c’est simplement ma façon de faire; si vous préférez procéder plus tôt, rien ne vous en empêche.
Comment?
Au début, je ne fais que dégager le sol sous une branche existante sur un site potentiel. Si je ne trouve pas de branche bien placée et à la bonne hauteur (environ 4 à 5 pieds),je prends une branche au sol et je viens la coincer sur un autre arbre à l’endroit désiré. J’ai remarqué que si la branche se trouve un peu haute, les cerfs n’hésiteront pas à se tenir sur leurs pattes postérieures pour atteindre la fameuse branche. Une fois la branche en place, je dégage le sol avec mes bottes sur une surface d’environ 2 pi sur 2 pi directement sous la branche. Ce faisant, vous remarquerez l’odeur de terre qui s’y dégage, et juste cette odeur «allume» l’intérêt des chevreuils !
SI LES CHEVREUILS UTILISENT LES GRATTAGES POUR COMMUNIQUER, POURQUOI NE PAS EN IMITER QUELQUES-UNS POUR BROUILLER LES CARTES?…
Évidemment, j’y installe une caméra de
détection, en mode vidéo, et la semaine
suivante je viens y ajouter de l’odeur. Personnellement, je commence avec une urine de mâle mature ou en rut, parfois j’ajoute de
l’odeur de glande pré-orbitale sur la branche surplombante, et depuis l’année dernière j’aime bien aussi utiliser une odeur de glande
interdigitale directement dans le grattage pour ajouter encore plus de réalisme. Puis, dans la semaine précédant l’ouverture ou
quelques jours auparavant, j’y intègre aussi une urine de femelle en chaleur.
À ce moment-là, mes caméras installées depuis quelques semaines sur mes faux grattages me donneront une bonne idée de l’identité et de la fréquence des visiteurs. Une fois que mes faux grattages sont visités par les chevreuils, ils y ajouteront leurs propres odeurs et ils deviendront encore plus efficaces. En période de chasse, je n’y ajoute de l’odeur que si j’y chasse ou que je passe près de mes faux grattages et j’évite d’y retourner inutilement pour ne pas y laisser mes odeurs intempestives. De plus, mes caméras à transmission cellulaire m’indiqueront le niveau d’achalandage, et surtout si le ou les mâles convoités visitent mes faux grattages.
De la discipline, sans exagération
À mes premières années d’utilisation des faux grattages, pour éviter tout dépôt d’odeur je portais du linge à neutralisation odoriférante, gants et foulard au niveau de la bouche, et plus tard j’ai omis ces précautions car je n’y ai vu aucune différence. Par contre, je porte le même linge et les mêmes bottes quand je vais en forêt, en prenant soin que ces éléments ne soient affectés par aucune odeur d’essence ou étrangère, j’y vais seul et surtout j’évite de m’éterniser. J’ajoute des gouttes d’urine, récupère ma carte mémoire et je m’en vais aussitôt, et autant que possible je préconise une journée de pluie ou veille d’une pluie. Ce petit rituel fonctionne très bien et les mâles visitent mes faux grattage sautant de jour que de nuit, signe que la procédure est adéquate.
Les faux grattages font maintenant partie de ma principale stratégie de chasse, car avec les années, j’ai constaté qu’elle me procurait les meilleures chances de croiser le fer avec un buck intéressant. Ajoutés aux appels et au rattling, les faux grattages donnent une bonne dose de réalisme à mon scénario. J’effectue aussi des lignes d’odeur de glande interdigitale synthétique, ce qui ajoute encore plus de réalisme. En se mettant à la place du mâle dominant d’un secteur, on peut facilement imaginer sa réaction instinctive en voyant apparaître sur son territoire des grattages « étrangers » et des odeurs de mâles qu’il ne connaît pas…
À la période où les biches sont sur le point d’arriver en chaleur, il constate qu’il y a un intrus dans son secteur et qu’il devient urgent de le remettre à sa place, ce qui vient d’augmenter mes chances d’apercevoir le «maître» du secteur en plein jour, car il sera certainement intrigué par mon scénario. De plus, comme je ne suis pas constamment à l’affût près des appâts, mais plutôt en embuscade dans différents secteurs imprévisibles de mon territoire, le ou les mâles convoités n’auront aucune crainte de circuler. Évidemment, la règle de base sera d’être à bon vent lors de mes séances d’affût, de là l’importance de disposer de plus d’un mirador.
Les trois derniers mâles que j’ai prélevés en 2019, 2020 et 2021 ont tous été captés en images à quelques reprises par mes caméras de détection sur mes faux grattages, mais pas une seule fois par les caméras installées sur mes sites d’appâtage, et cette seule constatation vient justifier l’utilisation des faux grattages. La technique d’appâtage fait toujours partie de ma stratégie de chasse, mais elle me sert uniquement à attirer un maximum de femelles dans mon secteur. Si je désire voir aussi des mâles fréquenter mon secteur, je dois faire ce qu’il faut pour leur procurer ce qu’ils recherchent, et en novembre, ce sont les femelles qu’ils recherchent.
Depuis plusieurs années, je constate que plusieurs bucks (sinon tous) du secteur finissent un jour ou l’autre par venir faire un tour à un de mes faux grattages, y compris les outsiders, ces mâles qui ne vivent pas sur mon territoire mais sur des terres voisines et que je ne vois qu’en période de rut. Ces maraudeurs viennent courtiser les femelles de mon secteur et éventuellement, ils devront rendre des comptes aux mâles résidents. C’est ce qu’on appelle de la compétition, et il est évidemment plus intéressant de chasser sur un territoire où il y a de la compétition.
Cependant, une règle de base s’impose: pour chasser un territoire intéressant, la survie de jeunes mâles est primordiale! Ces derniers doivent avoir la chance de franchir plus d’une saison de chasse, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour beaucoup de jeunes mâles de 1 1/2 an qui font partie des statistiques de récolte tous les ans. Difficile de voir des mâles d’âge différents, surtout matures, s’ils tombent au combat le premier automne de leur vie adulte. Retenez ceci : difficile d’avoir de belles grosses tomates rouges si elles sont cueillies petites et vertes !
En conclusion
Que ce soit pour établir une stratégie de chasse, de recensement des mâles ou de provocation, je considère qu’il sera toujours payant pour un chasseur d’utiliser les faux grattages. Le fait de voir un buck en train de gratter dans un de mes grattages est stimulant: c’est signe que le but est atteint, soit de provoquer les mâles et de créer de l’activité sur mon territoire.
Je vous invite donc fortement à utiliser cette technique lors de votre prochaine saison. Ne misez pas que sur vos appâts pour espérer voir le ou les beaux mâles que vous avez recensés sur vos caméras durant la saison. Laissez plutôt vos appâts pour attirer les biches, chassez en périphérie et misez sur la provocation comme celle des faux grattages avec des embuscades imprévisibles. Croyez-moi, vous ne verrez plus vos saisons de chasse de la même façon.
Par le passé, j’ai consacré quelques saisons à surveiller des appâts pendant trois fins de semaine et croyez moi, je ne reviendrais pas en arrière. Le constat était toujours le même: les mâles que je voyais sur mes caméras avant la chasse, dans des sentiers, sur des salines ou autres, ne se montraient jamais le bout du nez sur mes appâts pendant mes heures assis à mon affût. J’en étais venu à la conclusion suivante: si je voulais obtenir du succès, je devais changer ma stratégie. C’est ce que j’ai fait depuis près de 15 ans et c’est ce qui me fait encore plus apprécier mes saisons de chasse.
Mais n’oubliez jamais que les ingrédients incontournables pour obtenir du succès à la chasse résident dans les 4 P: Prospection, Préparation, Persévérance et Patience!