Techniques originales et inusitées
Approches hors normes à essayer lorsque les techniques usuelles ne produisent pas les résultats attendus.
Comme dans toutes les disciplines, la pêche à la mouche a ses codes, ses lois et ses préceptes. Par exemple, imiter fidèlement la nature ; ne jamais faire patiner une imitation d’éphémère; pêcher un streamer en aval sur une ligne parfaitement tendue ; ne pas récupérer un popper par saccades avant que la surface de l’eau ne soit redevenue calme comme un miroir. Vous en voulez encore ?... Si un saumon refuse votre offrande, remplacez-la par une plus petite du même modèle ; une mouche sèche doit se poser sur l’eau aussi doucement qu’un papillon; en pêche à la nymphe, lestez plus lourdement la mouche de pointe; la dérive libre de type dead drift fait foi de tout !
Les règles et les exceptions
Je pourrais continuer longtemps, et toutes ces règles sont parfaitement fondées et éprouvées. Cependant, elles ne représentent que des outils pour moi, et comme le disait si bien mon défunt père, «c’est toujours plus facile avec les bons outils». D’ailleurs, son atelier était drôlement bien garni! Non seulement il disposait des meilleurs outils de base, mais il possédait également des outils spécialisés pour travailler dans les moindres recoins et dans les pires conditions. Il n’utilisait pas souvent ces outils spécifiques, mais lorsqu’il en avait besoin, il savait où les trouver.
Je vois les techniques de pêche à la mouche exactement comme mon père voyait ses outils. J’ai donc dans mon coffre tous les outils de base, toutes les règles, les codes et les lois, mais aussi tout ce qu’il faut pour sortir des sentiers battus. Cependant, il ne faut surtout pas perdre le nord! Il y a très longtemps, mon prof de musique que je respecte au plus haut point, M. Jean Grimard, saxo du groupe culte L’Infonie, me disait qu’avant de transgresser une règle, il faut la connaître et la maîtriser parfaitement. Bref, « avant de te prendre pour John Coltrane, fais tes gammes jeune homme ! » Je vous encourage donc à « faire vos gammes » avant de vous lancer dans ces quelques techniques hors normes que je vous présente ici.
Voyons d’abord l’exemple parfait d’un précepte, d’une loi, d’un dogme de pêche à la mouche qui a été transgressé avec succès. À une certaine époque, il était strictement interdit de lancer une mouche à l’aveugle, sans qu’un poisson se soit manifesté en surface. Sur la plupart des fosses, il y avait même un banc pour s’assoir en attendant que les poissons commencent à gober en surface. C’était la norme et tous les pêcheurs s’y astreignaient.
Un jour, un pêcheur « impatient » et particulièrement observateur est venu tout chambouler. Il s’est d’abord rendu compte que les truites se nourrissaient des nymphes émergentes entre deux eaux, avant de gober les insectes adultes en surface. Il a donc créé de nouveaux outils (mouches) et de nouvelles techniques pour que ses offrandes se présentent à la bonne profondeur et ce fut tout un bouleversement ! C’est ainsi que George Edward Skues (1858-1949) a brisé un dogme, une règle d’or de la pêche à la mouche pour établir les prémices de la pêche à la nymphe .Aujourd’hui, cette technique comporte son propre lot de règles et d’outils qui continuent de se raffiner année après année, au plus grand plaisir des adeptes de la longue perche. Ce grand de la pêche à la mouche a osé avec succès, et aujourd’hui c’est un héros!
Cela dit, les règles ne sont pas là pour rien, et la pêche à la mouche sèche sur des poissons actifs en surface fonctionne toujours très bien dans 99 % des cas. D’ailleurs, je suis prêt à parier gros que George était un pêcheur à la mouche sèche hors du commun ! Donc, dans le cadre de cet article, je viens vous proposer quelques techniques inusitées, des options quand les techniques de base ne fonctionnent pas, mais par acquis de conscience je vais également vous rappeler les règles de base.
Nymphe en dérive libre ou« manipulée »
Première technique spéciale, faire tourner ses nymphes à vitesse grand V. Mais voyons d’abord la règle : « À la nymphe, tu dois faire dériver tes mouches librement sans tirer sur le bas de ligne. » Cette règle va de soi, puisque les nymphes sont de très mauvaises nageuses. En fait, qu’elles soient de type rampantes, agrippantes, fouisseuses, voire nageuses, elles sont toutes à des années-lumière d’une Sylvie Fréchette ou d’un Michael Phelps! Maintenant, voici une option que j’ai expérimentée et qui brise cette règle avec succès. Je l’utilise surtout l’été, pendant les canicules, quand l’eau des rivières devient comme un bain-marie.
D’abord, je localise des truites qui refusent systématiquement mes offrandes, ce qui est assez facile dans mon cas. Je « lis » des rivières depuis que je suis tout petit et comme je suis rendu plutôt vieux, cela me donne certains avantages, comme de ne pas mourir jeune et de savoir à peu près où se trouvent les poissons dans une rivière. Une fois leur position établie, je brise une autre règle (celle qui veut qu’on se place toujours en aval des poissons) en me positionnant entre 2 et 4 mètres (6 1/2et 13 pi) en amont de cette position. Bien entendu, je le fais avec moult précautions, en gardant le profil bas et en avançant à couvert autant que faire se peut.
Rendu là, je lance mes mouches entre 2et 5 m (6 1/2 et 16 pi) en amont, en fonction de la profondeur de présentation désirée. Pour éviter d’être repéré, je prends bien soin de lancer par-dessus l’épaule opposée. Je laisse alors dériver et couler mes offrandes, puis juste au moment où elles arrivent dans le champ de vision des truites, je donne des coups de poignets saccadés et violent sen faisant remonter la canne vers l’amont, tout en gardant le scion près de la surface. Au bout de ce mouvement, je marque une pause, et c’est souvent à ce moment que survient l’attaque! Ainsi, les mouches dérivent d’abord vers les poissons, mais virent à 180 degrés sans crier gare, en plein sous leur nez, et se mettent à nager vers l’amont comme si elles fuyaient désespérément !
Comme je le disais précédemment, la plupart des nymphes ne nagent pas et même celles qui le font en arrachent...Donc, la chose est encore plus improbable à contre-courant. Malgré tout, je ne compte plus le nombre de truites que j’ai capturées grâce à cette technique que j’ai découverte tout à fait par hasard. En fait, je pêchais de manière classique un rapide rempli de gros rochers, et à la fin des dérives je me suis rendu compte que de grosses truites montaient sur mes nymphes lorsque je levais la canne en préparation pour le lancer suivant. Bien évidemment, elles regagnaient leurre paire dès qu’elles me voyaient, mais j’avais compris la « patente ».
Une mouche sèche qui « patine »
Une autre technique inusitée que j’utilise à l’occasion consiste à faire patiner une mouche sèche. La règle d’or à la sèche est une dérive libre, à la même vitesse que le courant, sans traction sur le bas de ligne. Cette loi fonctionne très bien la plupart du temps, mais lorsqu’un poisson refuse systématiquement une sèche bien présentée, on peut la faire patiner et ça marche ! La technique consiste alors à lancer la mouche normalement dans un angle de 45 degrés vers l’amont, à la laisser dériver sur un mètre avant de la faire patiner sur un mètre ou deux en levant la canne, puis de la laisser dériver librement de nouveau sur un mètre ou deux avant de la faire patiner encore sur quelques mètres, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la dérive.
En général, on pratique cette technique avec des mouches de type « Spider »,mais on peut faire patiner n’importe quelle mouche sèche. La patineuse la plus célèbre est très certainement la Trottinette, une mouche québécoise qui imite un plécoptère (stonefly). On peut pêcher cette mouche sèche de manière classique, mais la technique qui marche le mieux consiste à la lancer à 45 degrés vers l’aval pour la faire patiner en arc de cercle au-dessus de la tête des poissons. Cela dit, on peut utiliser cette technique insolite avec n’importe quelle mouche sèche.
D’ailleurs, je ne compte plus le nombre de saumons que j’ai capturés avec un Bomber qui patine au milieu d’une fosse, une technique que j’ai aussi découverte tout à fait par hasard. La première fois, j’étais dans la fosse Campagnole de la rivière Aux Rochers, et comme je fumais encore la cigarette à l’époque (je ne peux pas croire !) et que j’avais le vent dans la face, je me suis tourné pour allumer ma « clope », en mettant la canne sur l’épaule. Je pêchais avec un Bomber orange qui patinait alors au beau milieu de la fosse, quand soudain j’ai entendu un énorme bouillon et ma soie s’est raidie subitement! Il s’en est même fallu de peu que la canne me glisse d’entre les mains !
Un streamer fugitif
Une autre technique qui sort des sentiers battus consiste à « stripper » un streamer comme si votre vie en dépendait, et pour aller encore plus vite on place la canne sous le bras et on tire carrément la soie à deux mains. La doxa nous enjoint de faire nager un streamer comme un petit poisson, le plus naturellement du monde, mais quelquefois ça ne marche tout simplement pas. Dans ce cas, il vaut mieux stimuler les réflexes du prédateur.
J’ai compris ce principe il y a bien longtemps, et encore une fois par un hasard total ! J’étais debout sur un énorme rocher en plein milieu de la rivière et je suais ma vie. À l’époque, je n’avais pas beaucoup d’outils dans « mon coffre »et la présentation standard de pêche au streamer constituait pratiquement 50 % de mon bagage technique. On lance dans un angle de 45 degrés vers l’aval, on laisse dériver le streamer en arc de cercle et on «strippe» deux ou trois coups. S’il n’y a pas eu d’action, on sort un peu de soie et on reprend la manœuvre. Rendu de l’autre côté de la rivière, on ramène le tout dans le moulinet et on change de mouche. C’est justement là que j’ai compris la « patente » ! Je me souviens que je moulinais comme un fou furieux pour ramener ma mouche quand soudain elle a été sauvagement attaquée !
La fameuse manœuvre «walk the dog » est une autre technique farfelue qui fonctionne très bien et que j’ai découverte encore une fois par accident, dans la rivière Yamaska alors que je changeais de poste. C’était toujours à l’époque où la pêche au streamer constituait le gros de mon coffre à outils. J’étais au centre de la rivière depuis une bonne demi-heure, sans aucun résultat. J’ai donc décidé de revenir sur la berge pour changer de place, mais j’ai oublié de rembobiner mon streamer qui « pêchait » toujours et qui a subi une attaque brutale alors que je marchais vers la rive !
C’est drôle, parce que la même année, j’ai vu sur la rivière Saranac un très vieux pêcheur qui ne faisait que cela. Il descendait la rivière, sa ligne toujours à l’eau, et faisait pêcher sa mouche autour des rochers sans jamais lancer. Cet astucieux disciple de saint Pierre prenait sa part de poissons sans trop se casser la tête.
Des imitations farfelues
On entend souvent l’expression « match the hatch », qui signifie attacher une mouche qui imite parfaitement la nourriture des poissons. Par contre, cela ne fonctionne pas toujours, ou alors on n’a pas toujours ce qu’il faut dans notre boîte. Quand cette situation se présente, j’aime bien pêcher avec du funnystuff et cela peut s’avérer payant. Je l’ai appris à mes dépens lors d’une sortie de pêche à la truite, et depuis je ne critique plus le choix de mouches de mes acolytes. Je vous raconte…
J’étais sur un petit lac de tête reculé des Adirondacks avec un bon ami et nous pêchions avec des modèles de mouches qui imitaient parfaitement celles qui voltigeaient au-dessus de l’eau, mais c’était le calme plat. Nous avons fait une pause pour luncher et mon ami a alors sorti de sa boîte une espèce de mouche complètement farfelue, pour ne pas dire ridicule, qu’il a attachée à son bas de ligne. J’ai ri de son choix pendant toute l’heure du lunch, bien sûr, mais il a persisté et signé. À peine quelques minutes après que nous avons recommencé à pêcher, il m’a crié qu’il était «attelé» sur quelque chose de gros. En effet, cette truite avait une longueur de18 pouces! Depuis, j’ai compris…
Autant en emporte le vente
Le « dapping » est une autre technique inusitée ici, mais qui se pratique beaucoup dans les lacs d’Irlande. Cette technique consiste à utiliser le vent pour faire virevolter sa mouche sèche à la surface de l’eau. Pour ce faire, on utilise un bas de ligne d’environ 3 m (10 pi),soit la longueur de la canne, et on sort environ 5 à 6 m (16 à 20 pi) de soie. Ensuite, on se place vent de dos et on laisse Éole faire le travail. On se contente de lever et d’abaisser la canne, pour faire voler ou poser la mouche, ou encore pour la déplacer latéralement et la positionner à l’endroit désiré. La mouche vole et se pose le plus naturellement du monde et les truites en deviennent folles. Cette technique est particulièrement géniale en ruisseau ou petite rivière, là où les lancers sont problématiques.
Parlant de lancer, une autre technique originale consiste à utiliser ses pieds plutôt que sa canne, et je m’explique. Avec les cannes d’aujourd’hui, quelqu’un qui maîtrise le moindrement les techniques de lancer peut facilement catapulter sa mouche à plus de 24 m(80 pi). Mais contrôler la dérive et ferrer à cette distance tient pratiquement du prodige. Particulièrement dans les rivières très techniques, où les contre-courants abondent. Je suggère donc de vous approcher autant que faire se peut de votre objectif. De réduire au maximum la distance qui vous sépare des poissons, en gardant à l’esprit votre sécurité, bien entendu, mais en cherchant des avenues pour pêcher le plus court possible.
Voilà, c’est déjà tout ! J’aurais aimé vous parler du fameux Kenai Flip, une technique particulièrement payante pour« gratter » le fond à courte distance, et aussi d’autres techniques inusitées qu’il m’arrive d’utiliser, mais je manque d’espace. Je vais donc terminer avec cette citation d’un éminent homme d’affaires :« Oser, c’est encore le meilleur moyen pour réussir ! » Mais en guise de mise engarde, je veux aussi vous donner cette autre citation d’un auteur que j’admire au plus haut point, Michel Audiard :« Les cons, ça ose tout ; c’est même à ça qu’on les reconnaît !»