La façon dont un chasseur réagit lorsqu’un orignal manifeste sa présence en réponse à l’appel peut aussi bien mener au succès qu’à une amère déception.
À l’arrêt aux abords d’un chemin forestier bornant une forêt en jeune régénération, j’étais un peu dans la lune. Sans émettre aucun appel, j’attendais patiemment qu’un orignal passe à proximité. Il faut dire qu’en 1995, je n’étais pas un très grand connaisseur de l’orignal et de sa chasse. À environ 300 mètres au sud de ma position, en bas du flanc de colline, se trouvait un beau lac où les orignaux semblaient bien aimer traverser une baie peu profonde afin d’éviter de progresser à travers les couverts denses de régénération de résineux qui ceinturaient le lac.
Cette soirée de chasse du 30 septembre tirait à sa fin lorsque j’ai entendu des pas bruyants d’un orignal traversant le lac en contrebas. Ce fut un moment très excitant et j’entrepris de descendre rapidement au lac. En arrivant au bord du plan d’eau, une grosse femelle m’observait. Après quelques minutes d’observation, elle finit par quitter pour repartir dans la même direction d’où elle était venue. J’ai alors eu le réflexe d’émettre des appels de mâle pour voir si elle réagirait. Elle n’en fit aucun cas et je la vis disparaître de l’autre côté d’une longue pointe qui avançait dans le lac. J’ai émis encore quelques appels de mâle sans même savoir pourquoi je le faisais.
Soudain, j’ai entendu un bruyant fracas d’arbres secs cassés provenant du fond de la baie vers laquelle la femelle se dirigeait. Je savais cependant que le fracas provenait davantage de ma gauche que de la direction prise par la femelle et je n’ai eu aucun doute qu’il y avait un mâle sur place. Immédiatement, j’ai commencé une série d’appels d’un mâle qui se déplace, et encore une fois, j’ai entendu la bête casser une grosse branche. L’orignal ne répondait pas, mais j’ai constaté qu’il avançait vers moi rapidement. J’ai alors estimé qu’il devait alors se trouver à moins de 100 mètres de l’autre côté de la baie.
L’approche finale
L’approche finale est une expression utilisée par les guides et les chasseurs pour désigner la démarche à adopter au moment où un ou plusieurs orignaux se manifestent et progressent habituellement dans notre direction. Les chasseurs et les guides qui maîtrisent cette approche finale ont généralement de meilleures moyennes de récolte. Il est nettement plus facile d’obtenir des interactions de la part des orignaux que de réussir à les voir et pouvoir placer un tir mortel, surtout lors de chasses sous des couverts denses et avec des armes à courte portée.
Bon nombre de chasseurs réussissent à obtenir des réponses et même approcher de très près des orignaux, ou les faire venir vers eux, sans jamais ou presque réussir à placer un tir. Ce qu’il faut savoir est que l’approche finale est nettement plus importante que tout autre moment à la chasse.
Les chasseurs et les guides qui maîtrisent cette approche finale ont généralement de meilleures moyennes de récolte.
Un scénario de longue durée
Ce que vous faites tout au long d’une journée de chasse peut avoir un impact sur d’éventuelles interactions avec des orignaux. De nos jours, la pression de chasse est forte, et ce, même à l’intérieur des couverts diurnes des orignaux. Pour augmenter vos taux de réussite en approche finale, il faut vous mettre dans la peau des bêtes.
Soyez logique dans vos démarches, tant physiques que sonores. Dites-vous qu’en début de parcours vers 8 h le matin, si vous émettez des appels trop puissants et insistants dans le secteur, un orignal à plusieurs centaines de mètres, ou même à plus d’un kilomètre, pourra très bien ignorer vos appels plus tard en journée. Si vous adoptez régulièrement les mêmes parcours de marche, les orignaux vous reconnaîtront et vous éviteront.
En début de parcours de marche, il est parfois préférable de n’émettre aucune vocalise d’orignal pour conserver l’effet de surprise plus loin et plus tard. Aujourd’hui, les orignaux reconnaissent la progression classique des chasseurs imitant un mâle agressif se déplaçant en suivant une femelle non réceptive. Cette approche est trop utilisée par de trop nombreux chasseurs depuis trop d’années. Les orignaux suivent de très loin la progression des chasseurs, et au moment où ces derniers passent à proximité, les animaux ignorent tout simplement leurs appels. En conditions favorables, un orignal peut entendre vos puissantes vocalises sur plusieurs centaines de mètres, et parfois même à deux ou trois kilomètres.
À ce moment, ce propos peut vous sembler dévier du sujet principal, mais il s’agit d’une des clés pour réussir plus facilement les approches finales. Aujourd’hui, il faut jouer le rôle de l’orignal du début à la fin de vos séances de chasse dans un même secteur. Tout ce que vous faites sur place peut avoir un impact significatif sur le futur de vos chasses sur plusieurs années. Un orignal mâle évolue sur un domaine vital de 30 à 50 km2, et dites-vous qu’un mâle de quatre ou cinq ans et demi en a entendu des appels de chasseurs de toutes sortes et à fort volume, et souvent sous des conditions météorologiques non propices. Comme leurs cousins les chevaux, les orignaux ont une mémoire auditive et ils peuvent reconnaître des chasseurs d’une année à l’autre, n’en doutez pas !
Durant la période de chasse, pensez à faire des scénarios logiques. Pensez aussi à imiter un des orignaux types pouvant se trouver sur le terrain que vous chassez et ajustez toujours votre stratégie en rapport avec le potentiel du secteur. Ne cherchez pas à impressionner un ami par vos imitations parfaites d’un grand mâle mature en colère. Si vous voulez imiter un mâle, cherchez plutôt à convaincre le mâle désiré que vous êtes plus petit que lui et facile à déloger.
Une bonne prise de contact
La première chose à faire au moment de la prise de contact est de vérifier la direction du vent. Si celui-ci se dirige vers l’endroit où j’anticipe la venue de l’orignal, je sors ma bouteille d’urine de mâle en rut et j’en vaporise généreusement, tout en me déplaçant rapidement pour que mon odeur ne se dirige pas vers l’animal. Dans une même séance d’approche finale, il peut arriver que je me déplace rapidement sur quelques dizaines de mètres, et ce, à plusieurs occasions, car aucune situation n‘est exactement pareille. Lorsqu’on imite un couple d’orignaux ou un individu mâle solitaire, les mâles cherchent particulièrement à nous sentir, alors que ce comportement est moins fréquent lorsqu’on imite une femelle esseulée.
Il faut apprendre à reconnaître ce que le mâle exprime par son comportement et ses vocalises, car une bonne compréhension de son langage vous aidera à mieux faire la conversation avec lui. Je l’explique lors de mes séances privées de formation sur l’orignal : il est plus important de bien comprendre son langage que de l’imiter à la perfection.
Peu importe qu’il émette des vocalises en une ou deux syllabes, il peut être en mode séduction ou de confrontation. Un mâle qui répond rapidement et irrégulièrement s’en vient plus souvent dans un but de séduction que de confrontation. Cependant, un mâle en mode confrontation émet des appels plus régulièrement mais moins rapidement.
Situation classique fréquente
Lors d’une chasse en déplacement ponctuée d’appels sur plusieurs kilomètres, un mâle va habituellement se manifester vocalement. À ce moment, le mâle peut répondre spontanément et même se rapprocher jusqu’à 80 à 100 mètres de votre position, puis il bloque sur place. Vous ne devez pas attendre plus de 10 secondes avant de lui lancer un nouveau message. Instinctivement, les orignaux répondent de diverses façons relativement rapidement. J’aime dire que nous avons une minute pour les convaincre du réalisme de notre mise en situation, mais idéalement il ne faut pas attendre plus de 10 secondes. Normalement, eux-mêmes nous répondent en moins de 10 secondes lorsqu’ils sont intéressés par notre message. Plus vous attendez et plus vous hésitez, plus vos chances d’arriver enfin au contact visuel espéré diminuent.
La question à se poser est la suivante : « Sur quel son ou appel me répond-il ? » Par l’analyse de ses vocalises et de ses comportements, vous devez être en mesure de déterminer s’il s’en vient en mode confrontation ou séduction. Ensuite, vous ajustez vos appels et vos sons produits pour le motiver à continuer. Lorsqu’un orignal bloque, je n’attends jamais au-delà de deux à trois minutes avant de me déplacer vers lui. En nature, les orignaux mâles comme femelles se dirigent les uns vers les autres. Pour éviter de semer le doute dans leur tête, il faut se comporter exactement comme eux. Jamais je ne laisse plus d’une à deux minutes avant de faire des sons associés à leur mode de vie.
Si vous doutez…
Plusieurs chasseurs deviennent très nerveux lorsque l’orignal s’approche et certains en perdent tous leurs moyens. Si cette situation vous arrive, émettez des sons passe-partout.
L’imitation d’un orignal qui mange est extrêmement efficace. Pour tout orignal, entendre un ou des congénères manger est rassurant, car un orignal ne mange pas s’il est inquiet, un orignal agressif non plus. Le fait d’entendre les sons d’un orignal qui mange confirme à celui qui vous entend que vous n’êtes pas un chasseur ou un prédateur. Les craquements de branches sèches ou humides jouent le même rôle et portent plus loin.
En tout temps, diminuez vos volumes d’appels. Beaucoup trop de chasseurs appellent à trop fort volume. Particulièrement en approche finale, vous devez baisser le volume. Le fait d’appeler à faible volume permet à certaines occasions de faire croire aux orignaux que vous êtes plus loin et les incitent à faire encore quelques pas. De plus, en mode séduction, les femelles émettent très souvent des appels à des volumes très bas.
L’utilisation d’un panache d’orignal
Avant d’utiliser votre panache en approche finale, analysez la situation que vous vivez en ce moment. Je suis d’avis qu’au Québec, environ 50 % des mâles récoltés par des méthodes d’appels le sont chaque année par des imitations de frottements de panache. Mais je suis aussi d’avis que 50 % des interactions avec des mâles où le chasseur utilise un panache de façon à le faire entendre sont manquées. Encore une fois, référez-vous à la période et à votre connaissance du cheptel local. Si vous n’avez que des jeunes mâles dans votre secteur, n’utilisez que les pointes de votre panache pour frotter les arbres. Montrez votre présence, mais montrez surtout que vous êtes plus petit que lui. Saviez-vous que les mâles frottent davantage pour séduire les femelles que pour intimider les autres mâles ?…
Il arrive régulièrement qu’un mâle ralentisse ou bloque devant un couvert trop dense et qu’à ce moment il effectue un frottage à caractère très intense. Ce mâle vous invite à aller le rejoindre, car vous imitiez une femelle. Ce n’est pas le temps d’émettre des sons de panache, car dans 50 % des cas le mâle deviendra plus méfiant et sera porté à se rendre sous le vent afin de déterminer qui est ce mâle que vous imitez. De là toute l’importance d’analyser au préalable quelle attitude avait l’animal lors de son approche. S’il n’a entendu que la femelle que vous imitez et que le couvert devant lui est impénétrable, en effectuant un frottage intense, il cherche à exciter cette femelle qu’il entendait pour qu’elle se rende à lui! Dans tous les cas, quand un orignal bloque, dirigez-vous vers lui immédiatement.
Finalement, que s’est-il passé avec mon orignal du début de ce texte ?
Ne sachant plus trop quoi faire, j’ai décidé d’imiter un orignal qui marche dans l’eau. J’ai entendu immédiatement les bruits de pas du géant qui se trouvait maintenant à moins de 100 mètres de moi. Je savais qu’il était tout près, je savais qu’un trophée était caché par les jeunes sapins entremêlés, mais la luminosité était alors très faible. J’estimais qu’il ne me restait que cinq minutes de chasse et j’ai émis une dernière série d’appels de mâle. L’animal n’a fait aucun autre son et j’ai dû me rendre à l’évidence que je n’avais que passé près ! Je n’ai quitté le lac qu’à la complète noirceur dans le but de simplement le voir. Le lendemain matin, je me suis rendu sur place : sur les berges du lac, des traces immenses étaient bien visibles dans le sable tout le long de la petite plage…
J’y pense encore tous les automnes. Les mâles manqués nous hantent toute notre vie. Avec les connaissances que j’ai aujourd’hui, j’aimerais tellement retourner en arrière au bord du lac Surget dans la réserve faunique Rouge-Matawin le 30 septembre 1995 à 19 h !