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MISES EN SCÈNE POUR SUJETS RÉCALCITRANTS

MISES EN SCÈNE POUR SUJETS RÉCALCITRANTS

17 septembre 2024

Jean-François Riverin

Plusieurs méthodes pour venir à bout des oiseaux les plus méfiants.

IL Y A UNE DOUZAINE d’années, par un beau matin de printemps, j’étais assis au pied d’un chêne énorme en bordure d’une clairière dans l’État du Connecticut. C’était le dernier jour d’un périple d’une semaine, et malgré la forte population de beaux dindons matures qui évoluaient dans le secteur, la chasse avait été difficile et toutes mes tentatives s’étaient avérées vaines durant les matinées précédentes. Ajoutons qu’aux États-Unis, la pression de chasse que subit Meleagris gallopavosylvestris est beaucoup plus élevée que celle qui prévaut chez nous. Ce «léger» détail rend l’aventure beaucoup plus complexe au pays de l’Oncle Sam. Qu’à cela ne tienne, cela ne justifiait pas de manquer mon coup et de revenir bredouille de ce périple.

Je suis donc au pied du gros arbre, usant de mes stratagèmes les plus subtils pour attirer l’attention d’un «glouglou» en mal d’amour .Toute la semaine s’était déroulée de la même façon, le comportement des oiseaux se répétant d’une journée à l’autre. Très portés sur les réponses à répétition en début de matinée, les dindons devenaient ensuite très dis s, puis évasifs, voire blasés.

 La forte densité de femelles autour des mâles n’était sans doute pas étrangère à mon manque de succès jusqu’à maintenant. Bien déterminé à apposer mon permis sur un sujet mature de belle taille avant l’heure fatidique de midi, j’avais modifié ma stratégie :quelques discrets caquetages de réveil au lever du jour, un peu de roucoulements combinés à du grattage dans les feuilles sèches ,une longue pause, deux ou trois appels de rassemblement, puis silence total et une énorme dose de patience. Comme avec les tentatives précédentes ,j’obtins beaucoup de réponses à la moindre de mes imitations, suivies d’un silence total, comme si les oiseaux avaient complètement disparu .Le soleil était déjà haut dans le ciel et l’avant-midi bien avancé quand soudain un magnifique dindon gonflé à bloc fit son apparition parmi les arbres, juste au moment où je commençais à perdre espoir. 

Dès qu’il aperçut mon appelant de dinde, il lança son caractéristique glouglou en direction de la belle factice, qui bien sûr resta de marbre devant cette tonitruante déclaration d’amour. Le gros volatile en pariade décida de mettre son orgueil de côté, et d’un pas déterminé et saccadé il s’avança vers sa promise. Le guidon avant de mon fusil était juxtaposé à son cou depuis un moment déjà, et lors qu’il fut à une distance raisonnable, profitant d’une brève pause de sa part, je pressai la détente. Foudroyé presque instantanément par ma charge de 1 7/8 oz de plombs cuivrés numéro 4, mon trophée s’écroula au sol. 

Un superbe dindon de 24 lb affublé d’une barbe de 10 po, avec des éperons acérés de 1 po! De cette expérience j’ai tiré deux leçons. La première est qu’être patient n’est pas une option, et qu’être très patient est une nécessité. La deuxième est que lorsque les stratégies usuelles font défaut, il ne faut jamais hésiter à proposer un scénario différent. Qu’on soit ici ou ailleurs en Amérique, la chasse au dindon sauvage est un art, et aucune sortie n’est semblable à une autre. La température ,l’avancement de la saison de reproduction, le comportement des dindons, le ratio mâles/femelles ainsi que les secteurs d’action sont autant de facteurs à considérer pour mener à bien cette quête des plus excitantes .

Des chasseurs font mouche par chance ou grâce à des circonstances favorables, d’autres déjouent leur trophée avec l’expérience acquise et de bonnes techniques. Au fil du temps, j’ai développé diverses stratégies pour réussir quand les méthodes habituelles échouent ,et les lignes qui suivent en dressent un portrait sommaire.

L’IMPORTANCE DU RANG SOCIAL

Certains dindons, surtout ceux de 3ans et plus ,sont très méfiants même en début de saison .Un mâle de 2 ans subordonné (oujake) n ’a rien à perdre et profitera de toute occasion de s’accoupler qui s’offrira à lui, ou d’aller à la rencontre de femelles à l’insu du ou des dominants du troupeau. La plupart du temps, ce sont ces oiseaux de 2 ans qui figurent aux tableaux des chasseurs. Souvent enclins aux vocalises et offrant une bonne coopération quand on leur présente un scénario intéressant, ils n’hésiteront pas à s’éclipser hors de vue lorsqu’ils entendent une nouvelle voix. Ils échappent àla vigilance du sultan, qui est généralement trop occupé à faire la cour à ses compagnes. Formant quelquefois de petites confréries de célibataires, ils roulent leur bosse et parcourent le territoire dans l’espoir de dénicher des femelles égarées ou ne faisant pas déjà partie d’un harem. Mais même en cavale, les célibataires sont régis par un certain «coded’honneur».

 Chaque groupe respecte une hiérarchie bien établie, sous la tutelle d’un oiseau lus âgé ou belliqueux qui, le plus souvent, a atteint ce rang au terme de quelques prises de bec et d’éperons. De son côté, un dominant mature suivra généralement sa vraie nature, qui lui dicte qu’il est le maître incontesté de la forêt et que les femelles doivent venir à lui et non l’inverse. Sauf si aucune dinde n’est disponible, il restera sur ses positions. Voilà le profil type du dindon mature dominant qui répond aux appels mais ne se présente jamais en personne. Lorsqu’on a affaire à ce type d’oiseau sûr de lui, il est très frustrant de devoir lancer la serviette après plusieurs heures de guet sans qu’il ne daigne apparaître malgré toutes ses réponses.

SUBTILITÉ OBLIGE

Il n’est pas toujours facile de savoir qui on affronte au petit matin, mais lorsqu’il n’y a plus de doute quant à son identité ,il faut adopter une démarche plus passive, voire subtile, et mettre carrément de côté les techniques habituelles .Ce genre d’oiseau a l’habitude de voir les dindes accourir à lui pour répondre à ses moindres désirs, mais comment réagit-il face à une dinde située non loin qui fait la sourde oreille à ses glouglous les plus mélancoliques ? Allons-y avec une courte anecdote. Je chassais aux abords d’un petit pâturage fréquenté régulièrement par un splendide mâle de 3 ou4ans. Étant presque certain que le baratin habituel de «yelps» classiques ne produirait pas l’effet escompté ,j’optai plutôt pour une démarche plus indépendante mais tout de même  naturelle. En avant de moi, deux appelants de dinde firent office de balises visuelles, une en position d’alimentation ,l’autre semi-active .Ma mise en scène sonore fut la suivante : d’abord quelques glapissements de réveil suivis d’une pause, puis mon imitation de dinde quittant le perchoir en battant frénétiquement l’air, les arbrisseaux et les feuilles avec ma casquette .

Enfin, j’ajoutai quelques plaintes d’un duo d’oiseaux recherchant de la compagnie ,mélangées à des gloussements d’alimentation et à quelques séances subtiles de grattage dans les feuilles. Bref, une représentation des plus naturelles et habituelles à l’oreille d’un dindon sauvage, mais somme toute des plus invitantes pour l’éternel Casanova .Peu de temps après mon dindon se pointa le bout du bec, cherchant la source de cette mise en scène tout à fait factice. En apercevant les deux appelants, fidèle à lui-même, mon oiseau lança un retentissant glouglou. Comme les deux demoiselles ne lui prêtaient aucune attention, il se mit en marche pour venir leur conter fleurette de plus près. Malheureusement pour lui, au terme de quelques pas dans leur direction, sa tête et son cou rencontrèrent2 1/4 oz de plombs #5.

VIEUX ROUTIERS MÉFIANTS

Même si un scénario du genre peut procurer la réaction idéale souhaitée, il est clair que cela ne se passe pas toujours ainsi, tout en prouvant qu’un jeu passif en vaut la chandelle. Certains chasseurs attentifs aux détails ont sûrement déjà remarqué que les dindons dominants(âgés de 3 ans et plus) ont souvent tendance à longer les lisières boisées ou même à éviter les milieux trop dégagés et ouverts. Ces vieux oiseaux méfiants sont passés maîtres dans l’art d’échapper aux chasseurs les plus aguerris .Parfois, les vocalises que lancent ces derniers les intéressent, mais ils ne veulent tout simplement pas quitter la protection des arbres .Il est particulièrement difficile de les faire dévier de leur routine habituelle ou même de leur destination quand ils ont une idée bien précise en tête. Or, même s’ils font preuve d’une prudence extrême et s’avèrent des plus obstinés, il ne faut pas croire qu’ils sont impossibles à déjouer. On doit tout simplement les prendre à leur propre jeu, en évitant les manœuvres déjà vues. 

Par exemple, il vaut mieux ne pas s’installer en bordure d’un champ vis-à-vis leur dortoir avec quelques appelants ,en espérant les convaincre de traverser la plaine avec des appels ordinaires. On doit s’immiscer dans leur quotidien et les prendre par surprise. Il est donc impératif de bien connaître le secteur où ils évoluent, leur horaire journalier, leurs zones de pariade ,leurs dortoirs ainsi que leurs allées et venues. Cela demande du temps sur le terrain et de nombreuses séances d’observation. Si on vise le trophée des trophées, il faut y mettre tous les efforts. À partir du perchoir ciblé ,ilimporte de connaître leurs déplacements quotidiens dans leurs moindres détails.

 Contrairement aux mâles«célibataires»en vadrouille ,en période d’accouplement les dindons dominants ont beaucoup plus tendance à se confiner à un secteur donné situé entre leur perchoir et une ou plusieurs zones de pariade .À l’aube, ils n’ont qu’un objectif, rassembler des femelles et s’accoupler avec le plus grand nombre. Ils doivent donc descendre du perchoir au plus vite pour aller s’installer à un endroit où ils seront vus et entendus. Par surcroît, ces mâles nerveux utilisent souvent un site favori auquel ils accèdent par un sentier plus discret, comme une lisière boisée, une vieille clôture ou toute structure qui procure un couvert immédiat au besoin .Si on a découvert puis bien examiné la voie qu’emprunte le dindon, il devient assez facile de se poster à un point stratégique et d’y attendre sa venue. Idéalement, il vaut mieux repérer précisément le perchoir la veille de la chasse, après une prospection d’après-midi par exemple, et non au petit matin comme c’est le cas habituellement. C’est la meilleure façon d’avoir une bonne idée de la distance qui nous sépare du gibier tout en évitant d’éveiller ses soupçons, ne serait-ce qu’en employant un appeau localisateur.

Ensuite, il faut décider si on utilisera des appels et des appelants. Dans une majorité de cas, je ne me sers jamais de leurres pour cette façon de faire. En ce qui a trait aux appels, je procède à peu près comme dans l’anecdote précédente et j’adopte la méthode passive, soit celle d’une ou quelques dindes qui quittent le perchoir et s’affairent à leur train-train quotidien. Cette technique peut comporter des variantes, selon que le chasseur est à l’aise ou pas avec toutes les facettes du langage des dindes, de même qu’avec leurs mœurs .LE JEU DE LA PROVOCATION Un technique bien connue qui fonctionne souvent pour les chasseurs d’orignal consiste à provoquer un mâle mature à l’aide d’une imitation à l’image d’un jeune rival, pour faire croire au premier que le second veut s’approprier une femelle. Or, cette mise en scène peut fort bien être présentée au dindon avec succès. Un oiseau récalcitrant, qui refuse d’approcher malgré les plus belles vocalises d’un chasseur, peut changer d’avis subitement en entendant un autre mâle répliquer à sa place. Se faire vole rune belle sur son propre territoire, par un juvénile de surcroît, est un affront qu’aucun dindon dominant ne peut tolérer.

Ce scénario est très simple à mettre en œuvre. L’apport d’un duo d’appelants ,dinde et mâle juvénile ou dinde et mâle mature, ou encore seulement une représentation de mâle immature peut s’avérer très utile pour compléter le guetapens, mais cela n’est pas absolument essentiel. Cependant ,il faut impérativement maîtriser l’appel de la dinde et le glouglou du dindon. On peut imiter ce dernier cri à l’aide d’un diaphragme, d’une boîte ou d’un appeau-tube, aussi appelé gobbler shaker, qui est des plus faciles à utiliser et très réaliste .On s’installe comme d’habitude, on produit ses séquences d’appel de dinde préférées et, dès que le dindon lance une réponse, on fait de même en lui servant une réplique de mâle juvénile.

 En général, la suite ne se fait pas trop attendre et c’est un dindon furieux qui rapplique pour mettre l es choses au clair avec l’intrus. Il arrive aussi que le dindon n’émette aucun son au réveil, et même une fois rendu à terre .Si on est certain de sa présence ou qu’il est visible à distance, on peut tout de même procéder de la même façon avec des résultats semblables. Dans un cas comme dans l’autre, si le chasseur a pris soin d’installer un appelant de mâle seul ou accompagné d’une femelle, il y a fort à parier que le spectacle sera riche en émotions .Une autre tactique vocale efficace pour leurrer les dindons récalcitrants consiste à reproduire les sons de deux jakes qui se querellent. Les dindons sont belliqueux, et avec l’instinct d’accouplement qui les tenaille, ils ne ratent jamais une occasion de participer à un échange de coups de bec, histoire d’affirmer leur rang social. Souvent, le dindon dominant arrive en courant pour remettre les belligérants à leur place.

 Je reproduis le jeu vocal des deux rivaux à l’aide d’un diaphragme, mais on peut aussi l’imiter en utilisant en canon deux boîtes à bouton-poussoir. Si deux chasseurs appellent, la mise en scène est encore plus crédible et cela avantage grandement le tireur.LA BASE À PRIORI La patience est le meilleur atout dans ce jeu de mises en scène et d’illusions. Chaque dindon a un caractère et des réactions qui lui sont propres. Certains requièrent une bonne dose d’appels insistants avant de bouger, alors que d’autres sont plus attirés par le jeu de la dinde fuyante ou indépendante. Quelques-uns nécessitent qu’on sorte le grand jeu pour se décider et ne s’approchent qu’avec lenteur, d’autres arrivent parfois à toute vitesse. Dans tous les cas, il faut apprendre à«lire»leur comportement pour bien réagir à chaque situation. Certaines conditions exigent des mesures extrêmes ,mais parfois le même résultat sera obtenu au terme d’une attente un peu plus longue avec des techniques plus sobres .Je le répète, la patience est le facteur clé. Souvent un dindon répond aux appels en début de matinée, puis devient totalement muet peu de temps après. Une fois les dindes retourné es sur leurs nids respectifs en milieu d’avant-midi, désormais seul avec son appétit sexuel, il se souvient avoir entendu une autre femelle plustôt et se met en quête pour la retrouver.

 C’est là qu’il peut apparaître à tout moment, souvent sans avertir. Comme la règle générale est de lancer des appels de dinde de façon sporadique, en reprenant l’exercice après une longue pause sans réponse, il ne faut pas produire une séquence trop forte, surtout si le temp sest calme. Cela pourrait faire peur à un gibier en approche. Rappelons qu’en tout temps, les dindons détestent être pris au dépourvu. Détail important à retenir, si on lance des appels de dindon, par souci de sécurité il faut s’assurer d’avoir une vue d’ensemble du terrain où l’on est posté. En effet, ces appels peuvent très bien attirer un autre chasseur. Si c’est le cas, il faut surtout rester immobile et clairement indiquer sa position en parlant fort, pour être repéré dans les plus brefs délais .En somme, rien n’est impossible pour le chasseur qui prend le temps de bien connaître le dindon et ses mœurs, en se donnant la peine de bien apprendre les méthodes de sa poursuite.

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